Les récentes projections démographiques de l’Organisation des Nations unies (ONU) prévoient que la population mondiale actuelle de 7,3 milliards d’habitants devrait atteindre 8,5 milliards en 2030 et 9,7 milliards en 2050.
Par conséquent, pour fournir suffisamment de calories et de nutriments à une population plus nombreuse et de plus en plus urbaine, il faudra augmenter la production alimentaire mondiale de quelque 70 % entre 2005 et 2050, dont une grande partie devrait provenir de l’intensification de la culture de terres, de la conversion de forêts, de prairies et d’autres écosystèmes en terres arables, ce qui aura une incidence sur la biodiversité et les multiples services écosystémiques.
Les sols constituent l’un des écosystèmes les plus complexes et les plus variés au monde. En plus de fournir à l’humanité 98,8 % de sa nourriture, ils sont au cœur de nombreux enjeux sociétaux tels que l’accès à l’eau potable, le stockage du carbone, la régulation du climat, l’atténuation du changement climatique et la préservation de la biodiversité.
Cependant, l’intensification de la production agricole, les diverses pressions anthropiques et les changements climatiques modifient la capacité des sols à fournir ses nombreux services écosystémiques.
Les principales formes de cette dégradation sont l’érosion, la perte de carbone organique, la pollution, l’imperméabilisation, la compaction, la salinisation, l’engorgement, l’acidification, le déséquilibre des éléments nutritifs et la perte de la biodiversité.
Parmi ces menaces, la salinisation-sodication des sols devient un problème agricole majeur dans le monde entier, principalement dans les régions arides et semi-arides.
7 % de la surface de la Terre
Les problèmes de salinisation dans les sols peuvent se référer à un excès de sels solubles (sols salins), à un excès de sodium échangeable dans la solution du sol (sols sodiques), ou à un mélange des deux cas (sols salins-sodiques). Le terme de sol affecté par les sels est plus couramment utilisé pour désigner les sols salins, les sols sodiques et les sols salins-sodiques.
La salinité-sodicité des sols est l’un des plus grands défis mondiaux dans les régions arides et semi-arides, qui affecte gravement la production agricole. 20 % du total des terres cultivées et 33 % des terres agricoles irriguées dans le monde en sont touchés. Environ 1 milliard d’hectares de la surface terrestre mondiale sont touchés par la salinisation, ce qui représente autour de 7 % de la surface terrestre de la planète. À l’échelle mondiale, les pertes économiques dues à ce phénomène sont estimées à 27,3 milliards de dollars US.
Un phénomène plus vieux que la Mésopotamie
Il convient de rappeler que ceci n’est pas un phénomène récent, un exemple historique bien connu est celui de la Mésopotamie (l’Irak actuel), où les premières civilisations ont d’abord prospéré, puis échoué en raison de la salinisation induite par l’humain.
Une publication intitulée « Salt and silt in ancient Mesopotamian agriculture » retrace l’histoire de la salinisation en Mésopotamie, où trois épisodes ont été identifiés (le plus ancien et le plus grave a touché le sud de l’Irak de 2 400 à 1 700 av. J.-C. au moins, un plus léger s’est produit dans le centre de l’Irak entre 1 200 et 900 av. J.-C., et l’est de Bagdad après 1 200 après J.-C.
Aux racines de la salinisation des sols
Il existe deux facteurs majeurs de salinisation des sols, à savoir la salinisation primaire due à des causes naturelles (l’altération des roches contenant des sels solubles, l’activité volcanique, le dépôt atmosphérique de sels marins par le vent, etc.) et la salinisation secondaire liée à des actions anthropiques, principalement en raison de méthodes d’irrigation inappropriées, souvent associées à de mauvaises conditions de drainage.
Avec un climat marqué par de faibles précipitations et des caractéristiques de sol qui limitent l’élimination subséquente des sels (lixiviation), les terres irriguées arides constituent des « points chauds » de la salinisation.
En outre, le changement climatique pourrait accélérer l’intrusion d’eau salée en raison de l’élévation du niveau de la mer, l’augmentation de la température, l’accroissement de l’évaporation et la surexploitation d’eau souterraine dans les régions sèches du monde. On estime qu’environ 600 millions de personnes vivant dans les zones côtières du monde pourraient être affectées par la salinisation.
À l’échelle mondiale, la superficie des terres agricoles mondiales détruites chaque année par l’accumulation de sels est évaluée à 10 millions d’hectares. Ce rythme peut être accéléré par les changements climatiques, la surexploitation des eaux souterraines et l’utilisation croissante d’eau de mauvaise qualité pour l’irrigation.
Impact de la salinité sur les plantes
L’augmentation du niveau de salinité et de sodicité entraîne des impacts négatifs sur les propriétés du sol et la physiologie des plantes.
En effet, de nombreux travaux scientifiques montrent que la salinité et la sodicité affectent presque tous les aspects du développement des plantes, notamment la germination, la croissance végétative et le développement reproductif. La salinité-sodicité du sol impose aux plantes une toxicité ionique, un stress osmotique et oxydatif, une carence en nutriments et limite ainsi l’absorption d’eau du sol.
La salinité-sodicité du sol entraîne une augmentation de la conductivité électrique, une dégradation de la structure du sol et un faible potentiel hydrique du sol. Le développement du stress salin chez les plantes peut être décrit de deux façons : phase osmotique et phase ionique.
Gestion des sols affectés par les sels
Face à ce stress salin, de nombreuses stratégies telles que la sélection végétale, le génie génétique des plantes et toute une série de techniques agricoles, y compris l’application de rhizobactéries, ont été élaborées afin d’améliorer le système de défense des plantes.
Parmi ces stratégies, les amendements organiques tels que le biochar, le compost et les amendements inorganiques riches en calcium par exemple, les cendres volantes, le gypse et le phosphogypse ont été utilisés pour remettre en état les sols sodiques.
D’autres techniques ont été utilisées pour réduire la salinité-sodicité du sol : l’agroforesterie, le biodrainage (l’utilisation de la végétation pour gérer les flux d’eau par évapotranspiration), les plantes halophytes (plantes adaptées aux milieux salés) et la gestion durable des sols.
Néanmoins, aucune de ces techniques ne saurait garantir une pérennité à long terme. Elles dépendent du type de sol, de la topographie, de la géohydrologie, du climat et d’autres facteurs locaux variant d’un milieu à un autre.
En outre, une sélection judicieuse des sites pour l’établissement des cultures peut diminuer le risque de salinisation et de sodication des sols.
Surveiller la salinité des sols
Des cartes actualisées sont nécessaires pour quantifier les taux de salinisation des sols et pour informer les politiques et les stratégies nationales et internationales visant à protéger les sols contre une salinisation accrue.
En effet, la surveillance de la salinité des sols dans les régions agricoles est nécessaire pour inventorier les ressources en sol, pour identifier les tendances et les facteurs de salinisation et pour juger de l’efficacité des programmes de restauration et de conservation.
De ce fait, les outils de télédétections et les méthodes avancées d’analyse des données telles que les techniques d’apprentissage automatique sont les meilleurs moyens pour y parvenir en temps voulu.
In fine, compte tenu de la complexité inhérente aux problèmes de salinité, il est indispensable d’adopter une approche holistique, multidisciplinaire, en garantissant la participation de plusieurs acteurs lors de la prise de décisions sur le développement et la mise en œuvre de technologies, accélérant ainsi le taux de remise en état des sols salins-sodiques.
Docteur en sciences de l’environnement (sciences du sol), Institut de recherche pour le développement (IRD)
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