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Téranga Nature

Ken Saro-Wiwa, un héros africain de l’écologie

Ken Saro-Wiwa, un héros africain de l’écologie

Kenule Beeson Saro-Wiwa, alias Ken Saro-Wiwa, est né le 10 octobre 1941 à Bori, village de l’Ogoniland. Ce petit territoire d’environ 1.000 km2, situé au cœur du delta du Niger, est alors peuplé de moins de 500.000 Ogonis, l’une des quelque 250 ethnies du Nigeria. En 1958, Shell trouve du pétrole dans le delta du Niger. Ce pétrole ne tarde pas à faire du Nigeria le premier producteur de brut d’Afrique subsaharienne, avec plus de 2 millions de barils extraits chaque jour. De 1967 à 1970, une terrible guerre, se soldant par plus d’un million de morts, oppose le gouvernement du Nigeria à la grande province sécessionniste du Biafra, qui comporte notamment le delta du Niger. Bien que lui-même issu du Biafra, le jeune administrateur territorial qu’est alors Ken Saro-Wiwa reste fidèle au gouvernement nigérian.

Ken Saro-Wiwa quitte l’administration en 1973 pour se consacrer à ses affaires privées : négoce d’abord puis, rapidement, écriture. Avec talent : Sozaboy (1986), « roman en anglais pourri », raconte la vie d’un jeune soldat enrôlé dans la guerre du Biafra, tandis Prisoners of Jebs (1988) ridiculise la corruption structurelle des élites nigérianes. Mais c’est à la télévision que l’auteur rencontre ses plus grands succès, attirant chaque semaine plusieurs dizaines de millions de téléspectateurs devant son soap opera culte Basi & Company. Or les années 1980, qui ont couronné Ken Saro-Wiwa comme écrivain star, sont aussi celles où l’exploitation pétrolière devient insupportable en Ogoniland : plus de 100.000 personnes, soit près de 20 % de la population, ont dû quitter leur village à cause de la pollution pétrolière.

Un «Ogoni day» festif afin de protester contre l’exploitation pétrolière 

En 1990, Ken Saro-Wiwa fonde le Mouvement pour la survie du peuple ogoni (Mosop). Ce mouvement non violent se donne d’emblée quatre objectifs : protéger l’environnement des Ogonis, protéger conjointement leur culture et leur mode de vie, rechercher pour eux un modèle de développement, se donner les moyens de leur autodétermination. En 1992, le Mosop envoie un ultimatum aux compagnies pétrolières opérant sur l’Ogoniland — Shell, mais aussi Chevron et la National Nigerian Petroleum Company — pour exiger « l’arrêt immédiat des dégradations environnementales » et 10 milliards de dollars de réparations. Surtout, le 4 janvier 1993, le Mosop réunit 300.000 personnes dans la rue — plus de la moitié de la population de l’Ogoniland — pour un « Ogoni day » festif afin de protester contre l’exploitation pétrolière. Ce faisant, Ken Saro-Wiwa attire l’attention de grandes ONG de l’environnement ou des droits de l’homme comme Greenpeace ou Amnesty International sur le sort du peuple Ogoni. En trois ans d’action, Ken Saro-Wiwa atteint un premier résultat : Shell cesse dès 1993 l’exploitation du pétrole sur le territoire ogoni, même si des pipelines continuent de le traverser.

Sur le plan théorique, Ken Saro-Wiwa écrit en 1992 un ouvrage qui fera date : Genocide au Nigeria : la tragédie ogonie. Dans ce livre, l’auteur est bien en peine de mettre en lumière un génocide au sens onusien du terme, c’est-à-dire « un certain nombre d’actes commis dans l’intention de détruire, intégralement ou en partie, un groupe », en l’occurrence « ethnique ». Mais en documentant des centaines de meurtres ou de viols commis par les Forces mobiles de police gouvernementale (tristement surnommées « kill-and-go ») pour réprimer les protestations ogonies, des milliers de cas de maladies ou morts prématurées liées à la pollution aux hydrocarbures, des dizaines de milliers de départs forcés de l’Ogoniland, car il n’est plus possible d’y vivre un mode de vie traditionnel tant l’environnement y est dévasté, Ken Saro-Wiwa pointe une « négligence » de la compagnie pétrolière et de l’État qui se traduit effectivement par un désastre humanitaire.

Du désastre pétrolier au concept d’écocide

Car, s’il faut retenir une idée-force de l’itinéraire de Ken Saro-Wiwa, c’est bien celle de responsabilité : quand une exploitation de ressources naturelles a un impact environnemental tel qu’elle se solde durablement et massivement par des morts humaines plus ou moins violentes, comment accepter que ni l’exploitant ni l’État censé faire respecter le droit ne puissent en être tenus responsables ? Le business du pétrole, reposant structurellement sur des paiements personnels par des entreprises à des gouvernants dès lors peu regardants sur le respect du droit, rend le plus souvent illusoire l’application des législations nationales de l’environnement : de fait, Shell et le gouvernement nigérian se renvoient la balle depuis plus de vingt ans sur la responsabilité de dépolluer le territoire ogoni. Dans ce contexte, l’introduction d’un vocable propre aux violations graves des droits humains — « génocide », par exemple — permet d’examiner la situation sous l’angle du droit international, lequel prévaut sur les législations nationales et peut donc s’imposer aux entreprises exploitantes comme aux gouvernements.

En ce sens, Ken Saro-Wiwa peut être considéré comme un des précurseurs du crime d’écocide [1], un des inspirateurs peut-être aussi des avancées théoriques récentes de la justice pénale internationale comme le « Document de politique générale relatif à la sélection et à la hiérarchisation des affaires », publié en septembre 2016 par la procureure de la Cour pénale internationale : celle-ci entend désormais statuer sur les « ravages écologiques », « l’appropriation illicite de terres » ou « la destruction de l’environnement ».

En juin 1994, Ken Saro-Wiwa est arrêté avec neuf autres responsables du Mosop pour l’assassinat de quatre leaders traditionnels ogonis qu’ils nient avoir commis. Au terme d’un procès exécutif, il est condamné à mort, puis pendu le 10 novembre 1995 avec huit des neuf accusés. Vingt-et-un ans après, on ne peut que constater l’aspect avant-gardiste de sa pensée, sa capacité à pointer des responsabilités en rapprochant juridiquement destruction de l’environnement et violation grave des droits humains.