Pour contenir les effets délétères du dérèglement climatique, l’Accord de Paris signé en 2015 stipule que nous devons globalement limiter le réchauffement bien en dessous des 2 °C ; et nous efforcer d’atteindre, au maximum, une augmentation de 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels (première moitié du XIXe siècle).
Cela nécessite de réduire les émissions de dioxyde de carbone, actuellement de l’ordre de 40 000 millions de tonnes par an jusqu’à atteindre la neutralité carbone (ou autrement dit des « émissions net zéro ») ; mais aussi de réduire autant que possible les émissions des autres gaz à effet de serre dont le méthane.
Cette transition nécessite des investissements colossaux. Le GIEC estime que les investissements supplémentaires dans le secteur de l’énergie se montent en moyenne à environ 800 milliards dollars par an jusqu’en 2050 si on veut limiter le réchauffement à 1,5 °C.
Cependant la fourchette est large, entre 150 et 1700 milliards de dollars selon les modèles. La question se pose donc de comment atteindre cet objectif au meilleur coût ?
Nous avons tenté de répondre à cette question dans une étude parue en mai 2021 dans la revue Science Advances.
Nos travaux ont montré que nous pouvons limiter un peu ce coût si nous changeons la façon dont nous évaluons les différents gaz à effet de serre qui s’accumulent dans l’atmosphère et contribuent au réchauffement.
Des gaz de plus ou moins longue durée
Tous les gaz à effet de serre (GES) n’affectent en effet pas la température globale de la même manière.
Les gaz dits de longue durée s’accumulent dans l’atmosphère sur une période étendue ; ceux de courte durée disparaissent relativement vite de l’atmosphère après leur émission.
Le dioxyde de carbone, qui est émis principalement par la combustion des énergies fossiles dans les secteurs de l’énergie et du transport, est de longue durée de vie. Le méthane, qui est émis par l’agriculture mais aussi par le secteur de l’énergie, est de courte durée de vie.
Autrement dit, les émissions de dioxyde de carbone provoquent une augmentation de la température pendant des siècles ; celles du méthane affectent la température pour quelques dizaines d’années seulement. Nous devons donc évaluer les GES sur des échelles de temps différentes.
Un impact sur les coûts de réduction
Le coût financier des actions climatiques – que l’on mesure en tonnes de réduction d’émissions – dépend du type d’action mis en œuvre et de la date d’entrée en vigueur.
Prenons l’image suivante : pour limiter son empreinte environnementale, un citoyen peut être incité à isoler sa maison – grâce à un ensemble de technologies ayant fait leurs preuves – ou à acquérir une voiture électrique – une solution moins mature et encore relativement coûteuse. Il sera logiquement moins coûteux de choisir la première option et de remettre la seconde à plus tard. Les nouvelles technologies deviennent en effet de moins en moins chères et de plus en plus efficaces à mesure qu’elles évoluent dans le temps.
Il nous faut ainsi identifier ce qu’il faut faire et quand il est pertinent de le faire pour agir efficacement.
Cette démarche s’applique aux gaz à effet de serre : les valeurs respectives du dioxyde de carbone et du méthane devraient être modulées en fonction de l’échelle de temps et des différents scénarios de réchauffement climatique auxquels nous sommes confrontés.
Si les émissions de dioxyde de carbone doivent sans conteste être drastiquement réduites, notre étude montre que, à un moment donné, il peut être utile de se concentrer plus ou moins sur la réduction des gaz à effet de serre de plus courte durée de vie.
Les potentiels de réchauffement
La métrique utilisée aujourd’hui pour comparer les effets des différents gaz à effet de serre s’appelle le « potentiel de réchauffement planétaire ».
Ce potentiel aide à mesurer la façon dont l’équilibre énergétique de la Terre se trouve modifié par les émissions de chaque gaz à effet de serre et cela sur une échelle de temps donnée.
En fonction de l’horizon temporel choisi, les gaz à effet de serre de courte ou longue durée de vie seront plus ou moins déterminants.
Depuis l’adoption du règlement de Paris en 2018 à la COP24 de Katowice (Pologne), cette métrique est devenue commune à tous les pays et s’applique sur un horizon de 100 ans, comme stipulé dans le cinquième rapport d’évaluation du GIEC.
Cette méthode est non seulement utilisée pour les statistiques d’émissions mais également dans l’élaboration des scénarios futurs, dans les plans nationaux de réduction des émissions et pour mettre en place des politiques climatiques, comme la Directive européenne sur les énergies renouvelables.
Le fait que cette méthode soit commune à tous les pays constitue un grand pas en avant pour faciliter les comparaisons des émissions et les actions.
Adapter l’horizon temporel
On vient de le voir, l’horizon temporel du potentiel de réchauffement de la planète est de 100 ans ; ce choix de 100 ans a été critiqué car il ne permet pas de traduire sans équivoque les objectifs de l’Accord de Paris en politiques climatiques.
Dans notre étude, nous avons toutefois constaté qu’il n’était pas nécessaire de modifier fondamentalement ce concept de quantification des gaz à effet de serre : il suffit juste d’adapter l’horizon temporel utilisé pour calculer ce potentiel, sans chercher à le maintenir à 100 ans.
Les scénarios de dépassement
Nos conclusions sont particulièrement pertinentes pour un « scénario de dépassement ». Dans un tel scénario, nous nous plaçons dans l’hypothèse où ne parviendrions pas à maintenir l’augmentation de la température mondiale en dessous de 1,5 °C (ou 2 °C) ; nous dépasserions l’objectif pendant une certaine période avant de ramener l’augmentation à un niveau inférieur.
Or, dans ce scénario, les réductions des émissions de méthane pourraient jouer un rôle important, et cela tout particulièrement au moment où il faudra réduire les températures. Rappelons en effet qu’une molécule de méthane a un effet « réchauffant » beaucoup plus intense qu’une molécule de dioxyde de carbone.
Notre graphique ci-dessous montre cinq trajectoires pour la température moyenne mondiale (voir le premier panneau). Le dépassement moyen de 1,5 °C et la stabilisation à 2 °C peuvent être considérés comme conformes aux objectifs de l’Accord de Paris ; les autres scénarios de dépassement montrent les cas où ces objectifs ne sont pas atteints.
Nous avons couvert un large éventail de scénarios futurs, y compris un scénario avec un pic de réchauffement jusqu’à environ 3 °C, correspondant aux conséquences des politiques climatiques actuelles.
Adapter la valeur de réchauffement
Nous constatons ici un passage progressif d’un horizon de 100 ans à un horizon de 20 ans, à mesure que nous approchons de l’année du dépassement.
Dans un tel scénario, nous pourrions agir spécifiquement sur le méthane pour faire redescendre le niveau de température une fois l’objectif dépassé. Pour cela, il faut attribuer à ce GES une valeur de réchauffement plus élevée pendant cette période : une tonne de méthane vaut 28 tonnes de dioxyde de carbone pour une période de 100 ans, mais 84 tonnes pour une période de 20 ans.
En attribuant au méthane une valeur plus élevée de réchauffement pendant un temps déterminé, nous pourrions émettre moins pendant la période de dépassement et faire baisser plus rapidement les températures. Cela inciterait aussi à plus de réduction des émissions de dioxyde de carbone au début de la période.
Nos travaux montrent que l’horizon des 100 ans fonctionne assez bien dans tous les scénarios que nous avons analysés pour les prochaines décennies. Changer d’horizon temporel n’est donc pas une question urgente. Mais se laisser la possibilité de le faire est un garde-fou important pour nous permettre de revenir sur la bonne voie à un coût relativement faible si nous entrons dans un scénario de dépassement.
Une démarche évolutive
À la lumière de nos résultats, nous suggérons donc d’évaluer les coûts de l’utilisation de différents horizons temporels pour les potentiels de réchauffement planétaire, au fur et à mesure de l’évolution de notre trajectoire de température.
Si nous faisons ces ajustements temporels en temps voulu, nous économiserons sur les coûts et cela nous permettra une plus grande efficacité pour gérer les effets du changement climatique grâce aux indispensables mesures d’atténuation.
Senior researcher, Université Paris-Saclay
Postdoctoral Researcher, Chalmers University of Technology
Directeur de recherche au CNRS, Sorbonne Université
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