Les bénéfices de la plus grande compagnie pétrolière au monde sont en chute libre. Saudi Aramco enregistre une baisse de 38 % de ses bénéfices. La situation est similaire pour toutes les majors, alors que le prix du baril baisse. Si la situation est conjoncturelle, entre le “peak oil”, le véhicule électrique et une économie mondiale plombée notamment par le changement climatique, plusieurs menaces pèsent sur l’industrie pétrolière.
Est-ce la fin de l’euphorie pour les pétroliers ? Le géant Saudi Aramco, groupe détenu à 90 % par l’État saoudien, enregistre pour ce deuxième trimestre un bénéfice net de 30,08 milliards de dollars, soit une baisse de 38 % par rapport à l’année dernière. Une tendance en rupture complète avec l’année 2022 où la plus grande compagnie pétrolière mondiale avait enregistré le bénéfice le plus important de son histoire, soit 161 milliards de dollars.
Et Saudi Aramco n’était pas le seul pétrolier à battre des records l’année dernière. BP, Shell, TotalEnergies… les majors ont profité de la crise de l’énergie avec une flambée du prix du brut. Mais le contexte a évolué. “La diminution reflète principalement l’impact de la baisse des prix du pétrole brut et de l’affaiblissement des marges de raffinage et de produits chimiques”, a expliqué Aramco dans un communiqué. Le prix du baril a en effet chuté. Pour rester à l’équilibre, le pétrolier va donc baisser sa production pour faire remonter les prix.
La menace du “peak oil”
La production de brut des pays exportateurs de pétrole et de leurs alliés a d’ailleurs atteint son plus bas niveau en juillet depuis deux ans, essentiellement en raison des coupes imposées par l’Arabie Saoudite, analyse dans une note S&P Global Commodity Insights. Mais si l’avenir du secteur s’annonce radieux, quelques nuages pourraient bien assombrir ce tableau.
Dans un rapport publié en juin, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a avancé la date du “peak oil” soit le moment où la demande mondiale de pétrole devrait atteindre un pic. Et selon l’institution, ce “peak oil” aura lieu dès 2028, soit 7 ans plus tôt qu’estimé dans son précédent rapport. “Certes il y aura un déclin mais entre le début de déclin et la fin du pétrole, il y a encore beaucoup de temps”, nuance auprès de Novethic Stéphane His, consultant indépendant, spécialiste climatique.
Le véhicule électrique change la donne
Pour l’expert, la plus grande menace pesant sur les majors aujourd’hui est le véhicule électrique. C’est ce levier qui va permettre à la demande de baisser alors que les transports représentent 60% de la demande mondiale de pétrole. Cité dans une note de Zachs Investment Research, l’économiste de l’université de Stanford, Tony Seba, prévoit même que les véhicules électriques pourraient détruire l’industrie pétrolière mondiale d’ici à 2030. Reste que l’économie mondiale est aujourd’hui engluée dans le pétrole.
Mais justement, l’impact du changement climatique sur l’économie mondiale pourrait changer la donne. Une étude d’Allianz Trade publiée le 6 août a montré que les températures extrêmes -rappelons que le mois de juillet 2023 a été le plus chaud jamais enregistré sur Terre- avaient amputé de 0,6 point le PIB mondial en 2023. La chaleur extrême “freine notre croissance”, a déclaré au Financial Times Kathy Baughman McLeord, directrice du Arsht-Rockefeller Foundation Resilience Center “et freine nos économies… les pistes d’atterrissage flambent, les métros ferment, les restaurants doivent fermer parce que le personnel de cuisine a trop chaud”.
“Il faut sortir de l’ère du pétrole avant d’en ressentir la pénurie”
Or l’industrie pétrolière compte sur une économie en croissance pour vendre des barils au prix fort. À cela s’ajoute la pression grandissante des investisseurs portant des résolutions climatiques aux Assemblées générales des pétroliers, inquiets de la suite. Car pour limiter la hausse des températures mondiales, à +2 °C, il faudrait selon le centre de réflexion Carbon Tracker, résister à consommer 80 % des réserves de pétrole connu.
“C’est un risque financier majeur pour les compagnies pétrolières privées, publiques, les états pétrogaziers ainsi que pour les institutions financières qui soutiennent ces sociétés”, décrypte dans une tribune Stéphane His. “Tout comme ce n’est pas le manque de cailloux qui nous a fait sortir de l’âge de pierre, il faut sortir de l’ère du pétrole avant d’en ressentir la pénurie. C’est une nécessité pour éviter les crises majeures qu’entraînera fatalement le réchauffement global si celui-ci n’est pas contenu en dessous de 2 °C.”
NVTC