En établissant les liens entre les compagnies de pétrole, de gaz et de charbon et leurs actionnaires, une étude dresse la liste des acteurs financiers – gouvernements, firmes de conseil en investissement et fonds souverains – ayant le plus d’influence sur le changement climatique.
Pour lutter contre le changement climatique, encore faut-il déterminer quelles sont les entreprises et institutions qui en ont réellement le pouvoir !
C’est l’objectif que se sont fixés quatre chercheurs en économie, auteurs d’une étude parue dans la revue scientifique Environmental Innovation and Societal Transitions. D’après les résultats de leur analyse – consultée par GEO.fr, les 10 acteurs financiers ayant le plus d’impact sur le futur de notre climat seraient les suivants, par ordre décroissant :
- Blackrock (conseil en investissement, Etats-Unis)
- Vanguard Group (conseil en investissement, Etats-Unis)
- Gouvernement de l’Inde
- State Street Corp (conseil en investissement, Etats-Unis)
- Gouvernement royal de l’Arabie Saoudite
- Dimensional Fund Advisors (conseil en investissement, Etats-Unis)
- Life Insurance Corporation of India (entreprise publique contrôlée par l’Etat indien)
- Norges Bank (fonds souverain de la Norvège)
- Fidelity Investments (conseil en investissement, Etats-Unis)
- Capital Group Company (conseil en investissement, Etats-Unis)
Ce classement repose sur la combinaison de deux mesures distinctes, comme l’explique Alain Naef, co-auteur de l’étude et chercheur au sein du réseau d’experts Sustainable Macro, contacté par GEO.fr.
“Soit ces acteurs ont investi de grandes sommes dans des entreprises d’énergies fossiles – par exemple, le gouvernement indien avec Coal India, dont l’empreinte carbone est de 68.23 gigatonnes de CO2. Soit ils financent plusieurs entreprises à la fois, comme Vanguard, la société qui investit dans le plus grand nombre d’entreprises“, précise l’économiste.
“Individuellement, réduire la demande de combustibles fossiles en prenant moins la voiture ou l’avion et en éteignant la climatisation, c’est très bien. Nous devons continuer à le faire. Mais nous devons également réduire notre production, ce que ces dix acteurs financiers peuvent faire“, affirme Truzaar Dordi, chercheur à l’Université de Waterloo (Canada) et auteur principal de l’étude, cité dans un communiqué.
“Sans eux, nous n’aurons tout simplement pas ce qu’il faut pour atteindre nos objectifs en matière d’émissions et éviter une catastrophe“, alerte-t-il.
En effet, quelque 200 entreprises – surnommées les “Carbon Underground 200” (CU200) en raison des quantités de pétrole, de gaz et de charbon qu’elles détiennent dans leur sol (underground) – possèdent à elles seules 98 % des réserves fossiles dans le monde (Fossil Free Funds, 2020).
Parmi elles, une soixantaine sont basées aux Etats-Unis, principal pays suivi de la Chine, du Canada, de la Russie, de l’Australie et de l’Inde. La compagnie saoudienne Saudi Aramco pèse à elle seule pour 106 gigatonnes (GT) d’émissions potentielles de CO2 dans l’atmosphère.
Le labyrinthe des entreprises et de leurs actionnaires
Pour déterminer “qui finance quoi”, les chercheurs ont remonté les labyrinthes sinueux qui relient les entreprises à leurs actionnaires, mais aussi aux actionnaires de leurs actionnaires.
De fil en aiguille, ils sont parvenus à identifier quelque 918 actionnaires individuels ayant des participations directes ou indirectes, à hauteur d’au moins 1 %, dans une ou plusieurs des compagnies d’énergies fossiles comptant parmi les “CU200”.
Si les sociétés de conseil en investissement financent le plus grand nombre de compagnies fossiles à la fois, l’étude révèle que les Etats, eux, constituent des acteurs financiers majeurs en termes de “poids” dans chacune des entreprises.
Ainsi, plus de la moitié des actionnaires détenant au moins 50 % de participation dans une entreprise – dits “actionnaires majoritaires” – sont des gouvernements, et parmi les compagnies d’énergies fossiles prises en compte par les auteurs, plus d’une sur dix (soit 23 au total) sont contrôlées par des Etats : Arabie Saoudite, Inde et Chine notamment.
Principalement motivés par les profits… mais attentifs à leur réputation
Ensemble, les 10 principaux acteurs financiers identifiés par l’étude représentent près de la moitié (49,5 %) du potentiel d’émissions lié aux réserves fossiles détenues par les 200 entreprises du CU200, estimé à quelque 647 GT de gaz à effet de serre – soit le triple du “budget carbone” dont l’humanité dispose si elle veut rester en dessous des 1,5 °C de réchauffement.
Pourtant, les investissements mondiaux en faveur des énergies fossiles n’ont cessé d’augmenter depuis les accords de Paris visant à limiter le réchauffement climatique : 3,8 milliards de milliards de dollars ont été injectés dans l’industrie entre 2016 et 2020 (Rainforest Action Network, 2021).
Alors, que faudrait-il faire pour inverser la tendance ? “Les acteurs financiers peuvent voter dans les assemblées générales des entreprises de combustibles fossiles. Ils devraient pousser ces compagnies à mettre en place des plans de transition“, propose Alain Naef. Un schéma qui s’était produit pour le mastodonte américain Blackrock, avant un rétropédalage (CNBC, 11/5/2022).
“Ensuite, (les actionnaires) devraient élire de nouveaux administrateurs au conseil d’administration de ces entreprises, qui auraient une expertise dans le domaine des énergies renouvelables” , poursuit l’économiste, prenant pour exemple le cas du fonds spéculatif activiste “Engine No.1” vis-à-vis de la compagnie pétrolière ExxonMobil (New York Times, 9/6/2021).
“L’objectif est de faire en sorte que ces entreprises passent à un modèle d’énergie renouvelable, et que celles qui ne veulent pas faire la transition fassent faillite“, résume Alain Naef. “Les investisseurs institutionnels tels que Blackrock ou Vanguard sont principalement motivés par les profits, et sont peu susceptibles de prendre des mesures – à moins qu’ils ne voient des risques pour leur réputation.“
“La plupart d’entre eux ne bougera probablement pas avant que les investisseurs publics ou les universités, par exemple, ne commencent à agir. C’est ainsi que la campagne de désinvestissement a fonctionné pour l’Apartheid sud-africain (Hunt, Weber & Dordi, 2016)”, relève le chercheur. “Nous devons vraiment changer l’opinion publique sur les responsabilités qui découlent de l’investissement dans les entreprises de combustibles fossiles“, prône-t-il.
G&o
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